Célestine Desoeurbrun, chimiste passionnée de montagne, se lance dans un défi unique : parcourir la Via Alpina en solitaire pendant cinq mois. Cette traversée de 2650 km à travers huit pays lui permettra de mener une étude sur la qualité de l'air à l'aide d'un micro capteur de la Captothèque, tout en sensibilisant aux mobilités douces. Soutenue par Atmo AURA et l’IMT Nord Europe, Célestine allie ainsi ses compétences scientifiques à sa passion pour l'itinérance et l'environnement. Découvrez son parcours et ses motivations dans cette interview !
Elle nous racontre aujoud’hui son expérience de la mesure.
Peux-tu nous dire qui tu es ?
Je m’appelle Célestine. Picarde d’origine, j’ai découvert différentes régions de France durant mes études. Après un arrêt de quelques mois en région bordelaise, où je me prends de passion pour le bivouac dans les Pyrénées, je décide de me rapprocher de l’environnement montagnard, au contact duquel je ressens un réel apaisement. Mes pas m’ont ensuite entraînés plus à l’Est vers le massif Alpes que je connaissais encore assez peu à l’époque.
A partir de ce moment, mes activités sportives et personnelles ont pris une autre dimension. J’ai saisi toutes les occasions d’être en extérieur, sur ou sous terre, avec une approche spécifique : favoriser un maximum l’usage de mobilités douces, principalement la marche et le vélo, et l’itinérance en tente, aussi bien l'été que l’hiver. Aujourd’hui, le Vercors est un de mes principaux terrains de jeux et un de mes challenges est de parvenir à allier cet enjeu des mobilités douces avec ma pratique de la spéléologie, discipline qui nécessite une certaine quantité de matériel parfois difficile à transporter à vélo sur de longues distances.
Quel est ton parcours universitaire et professionnel ?
Je suis chimiste de formation. Au cours de mes études supérieures, de la licence à l’école d’ingénieur, j’ai pu découvrir les différentes applications de la chimie dans nos usages du quotidien. Je m’intéresse alors particulièrement aux questions du stockage de l’énergie et je me passionne pour la chimie des matériaux. J’ai effectué mon doctorat en électrochimie et sciences des matériaux avec le LEPMI – laboratoire spécialisé dans le stockage et la conversion de l'énergie rattaché à Grenoble INP et l’UGA – ainsi qu’avec l’IFPEN – institut de recherche qui étudie les enjeux et les solutions liés à la transition énergétique et à la mobilité durable.
Durant ces trois années de doctorat, en parallèle de mon travail de recherche fondamentale, mes questionnements concernant l’impact des activités anthropiques sur les écosystèmes terrestres n’ont fait que croître : quel est le prix de notre croissance économique ? Quid de la préservation de l’environnement et du milieu montagnard, milieu très sensible ? Deux questions précises reviennent surtout : comment utiliser mes compétences professionnelles mais aussi personnelles, au service d’une diminution de notre impact sur l’environnement et les écosystèmes ? Comment puis-je sensibiliser et être actrice de la construction d’un monde respectueux de l’environnement, pour un futur plus soutenable ? C’est à ce moment que mon projet post-thèse voit le jour.
Peux-tu nous raconter ton projet ?
C’est un projet de trek pédestre, en solitaire et en autonomie le long de la Via Alpina durant 5 mois, doublé d’une étude scientifique afin de relier mes deux activités principales de randonneuse et de chercheure.
J’ai choisi d’effectuer cette marche au long-court en suivant l’itinéraire rouge de la Via Alpina avec un départ le 1er juin 2024. Cette traversée de l’arc alpin m'emmènera, sur une distance de 2650 km, à travers 8 pays : Slovénie, Autriche, Italie, Suisse, Allemagne, Liechtenstein, France et Monaco !
Quels sont tes objectifs avec ce treck ?
Ce projet est pour moi un projet multi-objectif, qui me permettra de :
- Me questionner sur les projets professionnels qui pourront faire sens pour moi à l'avenir, projets en accord avec mes convictions ;
- Me reconnecter à un temps permettant la rencontre et les échanges avec les acteurs de la montagne et les écosystèmes, pour compléter une démarche de mobilité non motorisée sur une grande distance.
- Mener un projet scientifique au long-court, pensé de A à Z pour fournir de nouvelles données environnementales à travers le plus grand espace naturel européen.
Comment le projet scientifique est-il né ?
La problématique initiale portait sur la présence de composés perfluorés (regroupés sous le terme PFCs, ou PFAS) partout dans l’environnement et dans les écosystèmes. Ces PFCs, appelés “polluants éternels” du fait de leur ubiquité et de leur accumulation dans l’environnement, sont utilisés notamment dans les revêtements hydrophobes des vêtements outdoor et autres équipements de montagne mais aussi dans de nombreuses autres applications. Du fait de l’usage massif de produits en contenant, ils se retrouvent dans l’environnement au cours du vieillissement des matières et s’y déposent pour des milliers d’années, s’accumulant dans les milieux et dans la chaînes trophiques. Mon idée était alors de réaliser des relevés environnementaux de ces polluants dans les milieux de montagnes et spécifiquement dans les lacs d'altitude alpins. Malheureusement, les protocoles permettant d’effectuer des mesures du taux de PFCs dans les eaux des lacs étaient trop lourds à déployer durant ce trek (pour plus d’informations voir : réseau des lacs sentinelles – projet Asters). J’ai donc décidé de changer de thématique pour ce premier projet d’étude scientifique en haute altitude : c’est la problématique de la qualité de l’air que j’ai choisi d’étudier au cours de ce projet.
Les « polluants éternels » (PFAS)
Les composés per- et poly-fluoroalkylées (PFAS) sont des substances produites industriellement pour leurs propriétés hydrophobes ou ignifuges (revêtements antiadhésifs, textiles imperméables, emballages alimentaires et cosmétiques…). Ils ont des impacts environnementaux et sanitaires forts car ils ne se dégradent que très peu dans l’environnement. Il est donc d’un intérêt majeur de mieux appréhender cette problématique sur un territoire recensant des producteurs de PFAS.
Pour en savoir plus sur les PFAS, découvrez notre article dédié
Quels sont les volets de l’étude de suivi de la qualité de l’air envisagée ?
- Volet 1 – étude du taux de particules fines (PM) rencontrées : aux abords des refuges en fonction du mode de cuisson des aliments et/ou des modes de chauffage, aux abords des villages en vallée.
- Volet 2 - suivi de la concentration d'ozone (O3) troposphérique & des composés organiques volatils (COV) : le but est de suivre l'évolution du taux d'ozone de l'arc alpin ainsi que le taux de COV et d'en observer les variations, voir si une corrélation est possible.
Qui soutient le projet ?
Cette étude a vu le jour grâce à l’aide de différents acteurs, ayant répondu positivement à l’accompagnement du projet : Atmo Auvergne Rhône Alpes (région AURA, ma nouvelle région d’adoption) et l’IMT Nord Europe (région Hauts-de-France, ma région d’origine). Les deux structures ont accepté de me prêter des capteurs portatifs qu’elles développent pour mener à bien le relevé de qualité de l’air. L’utilisation de ces capteurs à travers des projets de trek n’a jamais été réalisée jusqu’à aujourd’hui. C’est une première. Il faudra maintenant confirmer la viabilité d’une telle étude sur le terrain. Affaire à suivre.
En plus des deux acteurs cités, un autre acteur local a pris part à l’expédition : l’entreprise Guidetti, basée à Saint-Jean-de-Moirans, qui me fournit des bâtons de marche résistants aux terrains accidentés. Les bâtons sont fortement nécessaires pour soutenir le laboratoire mobile que je transporte, le poids du sac étant lesté par la panoplie de capteurs.
Avec quel dispositif Atmo Auvergne Rhône Alpes contribue au projet ?
Atmo AURA, travaillant au suivi et à la mise en œuvre d’actions conduisant à l’amélioration de la qualité de l’air, a accepté de me prêter un micro-capteur de particules fines (PM) : le Mobi, via le dispositif Captothèque. La Captothèque est un projet innovant ayant pour but de permettre aux citoyens de mesurer librement la qualité de l’air autour d’eux, d’identifier les sources de pollution environnantes ainsi que de favoriser la mise en place d’actions individuelles en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air. Des micro-capteurs mobiles de particules fines sont ainsi empruntables gratuitement sur réservation par tous les habitants de la région Aubvergne Rhône Alpes. Ils sont pilotables depuis un Smartphone afin d’effectuer des mesures en toutes circonstances, allant de la mesure durant la cuisson d’une sauce tomate, un épisode de pollution de l’air, une session de nettoyage d’un tapis hérité des grands-parents ou durant, et cela même en vélo, un trajet domicile-travail !
Dans le cadre de mon projet, c’est un dispositif qui correspond bien à mon cahier des charges car portatif, léger (200g), disposant d’une sensibilité suffisante pour le projet et dont l’autonomie (10h) me permettra de faire plusieurs sessions de mesure dans un environnement où l’électricité ne court pas les pins sylvestres. Il est facilement accrochable sur le sac à dos. Ce dispositif est pratique et le projet de la Captothèque se veut collaboratif, chacun pouvant participer à son échelle. Vous aussi, emprunter un micro-capteur et récolter des données de qualité de l’air partout autour de vous 😉 !
Concentrations en particules fines PM10 en µg/m³ mesurées par Celestine en proximité routière en Autriche
Pollution routière et qualité de l'air
La pollution liée aux transports routiers vient majoritairement des émissions de carburant pour les oxydes d'azote (NO2), mais également de l’usure des pneus ou du freinage, en ce qui concerne les particules.
Bien qu’il ne soit puisse pas être mesuré par le micro-capteur de la Captothèque, le principal polluant caractéristique du trafic routier est le NO2. En région Auvergne-Rhône-Alpes, 62% des émissions de NO2 et 20% des particules fines (PM10 et PM2,5) sont imputables au trafic automobile.
Pour en savoir plus consultez notre article: Comment le trafic routier impacte-t-il la qualité de l’air ?
Est-ce que l’on aura accès aux résultats ?
Le but du projet est de fournir un nouveau jeu de données environnementales aux acteurs des territoires alpins pour une meilleure compréhension de l’évolution de nos massifs mais également pour aider aux développements, aux améliorations, à l’utilisation des dispositifs de mesure existants. Les résultats de cette aventure seront communiqués sous forme d’articles et de conférences à mon retour. Il faudra tout de même patienter un peu car je pense que le traitement des données prendra du temps. Je compte sur l’expertise des partenaires pour m’aider à investir pleinement cette thématique, nouvelle pour moi. Rendez-vous sur le site de la Captothèque et/où à Grenoble dans les mois à venir pour le debrief.
J’espère que ce projet donnera des idées à d’autres citoyens car c’est, tous ensemble, que nous pouvons changer notre approche de la montagne améliorer nos connaissances de ces milieux pour mieux les préserver!